Le Figaro
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Oct 6, 2024
Secouées par la «dating fatigue», les applications de rencontre parient désormais sur la recherche d’amis
C’est le nouveau pari des applications de rencontre : non contentes d’avoir réussi à marier des millions de personnes, elles veulent désormais aider leurs utilisateurs à se faire des amis. Qu’il s’agisse de poids lourds du dating comme Bumble ou Match Group (Meetic, Tinder…) ou de jeunes pousses comme le français Timeleft, plusieurs acteurs du secteur ont choisi de miser sur les rencontres amicales pour diversifier leur activité.
Un relais de croissance en perspective pour les champions du secteur qui, après avoir été dopés par la pandémie, ont vu leur fréquentation et leur valorisation financière se tasser. Début août, Bumble a perdu plus d’un tiers de sa valeur en Bourse à l’annonce de la révision à la baisse de ses prévisions de croissance. Ces services font aussi les frais de la « dating fatigue » de la génération Z. Lassés par des applis de rencontre jugées addictives et peu satisfaisantes, les utilisateurs décident de les supprimer de leur smartphone et de s’en remettre de nouveau aux hasards de la vie. Dans ce contexte, la rencontre amicale permet aussi à ces acteurs de soigner leur image.
Bumble a ainsi lancé l’an passé aux États-Unis et dans plusieurs pays européens une appli dédiée, Bumble For Friends. « Nous pensons que nous pouvons être un partenaire idéal pour aider les gens à trouver la communauté amicale qu’ils recherchent, déclare un porte-parole de Bumble. Pour consolider cette activité, l’entreprise américaine a racheté en mai dernier la société Geneva, spécialisée dans la création de communautés. Elle doit les aider à « passer de l’amitié entre deux personnes à des connexions de groupe et de communauté », ajoute le porte-parole de Bumble qui veut accompagner ses utilisateurs « tout au long de leurs expériences de vie ».
L’autre poids lourd du secteur, Match Group, la maison mère de Meetic et Tinder, a également investi ce terrain. Il a lancé en février dernier aux États-Unis Yuzu, à destination de la communauté asiatique, sa première appli qui permet ouvertement de choisir entre les modes amoureux (« dating ») et amical (« social »). Le groupe n’exclut pas de l’étendre à d’autres applis de son portefeuille, qui en compte une quarantaine.
Depuis le 1er octobre, il teste également un service consacré aux rencontres amicales sur DisonsDemain, son service pour les seniors. « Avoir plus de 50 ans ne signifie pas que vous devez dire adieu à votre vie sociale et amicale », promet l’appli. « C’est une génération qui est dans une logique de partage de centres d’intérêt. Il y a un vrai potentiel pour reconnecter les gens et favoriser des rencontres amicales. C’est tout un champ qui s’ouvre et qu’il faut expérimenter », explique Matthieu Jacquier, PDG de Meetic Europe (Meetic, Tinder, DisonsDemain, Hinge…), filiale de Match Group, qui voit ces deux initiatives comme des « laboratoires d’expérimentation en temps réel ».
«La solitude est une épidémie mondiale»
Les champions du dating ont pris conscience de l’évolution des comportements. « Lorsque les jeunes rencontrent de nouvelles personnes en ligne, ils ne veulent pas qu’il y ait d’étiquettes, estime Daniel Cheaib, à la tête de l’appli française Feels, qui propose aux utilisateurs d’interagir par le biais de courtes vidéos. Il y a une volonté de retrouver de la spontanéité, qu’on avait perdue ces dernières années avec le swipe », le geste popularisé par le service Tinder où l’utilisateur décide en quelques secondes si un profil lui plaît ou non d’un rapide mouvement de pouce.
Sur Feels, où il faut indiquer son intention initiale (amitié, relation sérieuse… ou pas), un utilisateur sur quatre consulte l’ensemble des profils, y compris ceux qui ne correspondent pas à sa requête initiale. « La gamme d’intentions s’élargit, renchérit Matthieu Jacquier. Les utilisateurs sont là avant tout pour rencontrer des gens, et plus si affinités. Leurs attentes ne sont plus figées, elles peuvent même évoluer au fil de la recherche. »
Le contexte général est porteur. « La solitude est une épidémie mondiale qui touche la génération Z et les suivantes », constate Sacha Lazimi, fondateur de Yubo, qui clame être « l’appli ultime pour se faire de nouveaux amis et rencontrer du monde ». Positionnée sur les 18-25 ans, elle est titillée par l’arrivée de ces poids lourds du dating sur son segment. « Le Covid et les confinements l’ont mis en lumière. Tout est fait pour que l’on reste chez soi, entre les plateformes de streaming, les applis de livraison de repas à domicile et le télétravail. Il y a de moins en moins d’interactions humaines », souligne Sacha Lazimi.
Une viabilité économique incertaine
De nombreuses jeunes pousses ont aussi fait de la rencontre amicale le cœur de leur activité, souvent en misant sur les mêmes codes que les applis de dating : profil, messagerie interne… C’est le cas de Meetup, Wink ou Plura (ex-Bloom), qui permettent de trouver un ami en fonction de ses centres d’intérêt.
Le français Wizz (groupe Voodoo), qui compte 5 millions d’utilisateurs par mois, âgés de 18 à 25 ans, dans 20 pays, en a aussi fait sa marque de fabrique. « Nous travaillons sur de nouvelles façons de créer du lien », explique Nassim Ameli-Jouffroy, directrice opérationnelle de Wizz. Le réseau social s’apprête ainsi à lancer des groupes de chat, semblables à des communautés de 25 à 50 personnes, autour de centres d’intérêt communs. « Participer à ce type de discussion de groupe permet de rompre la glace », ajoute Nassim Ameli-Jouffroy. Quant à son rival Yubo, il planche sur de nouvelles fonctionnalités qui permettront de favoriser les rencontres en temps réel autour de thèmes communs ou du jeu vidéo. Et, pourquoi pas, à terme, dans le monde réel.
De nombreux experts s'interrogent sur la viabilité économique de ce nouveau terrain de jeu, notamment face aux réseaux sociaux qui restent entièrement gratuits
Organiser des rencontres dans la vraie vie est, en effet, une tendance de fond sur ce marché, à l’instar de Timeleft. Cette appli française propose de participer à des dîners le mercredi avec cinq inconnus dans 80 villes d’Europe et des Amériques. Les convives sont sélectionnés grâce à l’algorithme de l’appli après un rapide questionnaire de personnalité. Il est possible ensuite de noter les participants et de poursuivre l’échange via le chat. Ces plateformes peuvent être généralistes ou spécialisées comme Atleto, dédiée aux sportifs, ou Peanut, aux mères.
Reste que de nombreux experts s’interrogent sur la viabilité économique de ce nouveau terrain de jeu, notamment face aux réseaux sociaux qui restent entièrement gratuits. Bumble parie sur « plusieurs voies potentielles de monétisation », dont des partenariats et de la publicité, en plus des abonnements. Il verrait bien par exemple « des opportunités pour des marques de sport de s’associer ou de collaborer avec un groupe communautaire intéressé par la course à pied ».